Aux Etats-Unis, l’enseignement des maths est totalement obsolète !
Sol Garfunkel Le Monde
Il existe actuellement aux Etats-Unis une inquiétude largement partagée concernant l’état de notre enseignement des mathématiques. Elle prend sa source dans l’analyse des mauvais résultats des étudiants américains dans les compétitions et les tests internationaux (PISA), et l’on retrouve ces inquiétudes dans la loi dite “No Child Left Behind” (“Aucun enfant laissé de côté”) de George W. Bush, qui exige que les étudiants passent des tests standardisés en 2014 et que des sanctions soient prises à l’encontre des écoles et des professeurs qui ne permettraient pas à leurs élèves d’atteindre ces objectifs.
Toute cette inquiétude est fondée sur l’hypothèse qu’il existe un unique corpus bien déterminé de connaissances mathématiques que tout un chacun se doit de maîtriser pour se préparer aux métiers du XXIe siècle.
Cette hypothèse est fausse. La vérité est que des ensembles de compétences mathématiques distincts sont utiles pour des professions distinctes, et que notre éducation mathématique devrait en tenir compte.
Aujourd’hui, les lycées américains offrent des formations qui proposent dans l’ordre : de l’algèbre, de la géométrie, à nouveau de l’algèbre, les fondements de l’analyse mathématique, puis l’analyse à proprement parler. Tout cela a été codifié dans des programmes adoptés récemment par plus de quarante Etats.
Ce cursus très abstrait n’est vraiment pas le meilleur moyen de préparer une majorité solide de nos étudiants à leur future carrière.
Par exemple, est-ce que la majorité des adultes ont souvent l’occasion de résoudre des équations du second degré ?
Ont-ils besoin de savoir ce qu’est “un groupe de transformations” ou “un nombre complexe” ?
Bien sûr, les mathématiciens professionnels, les physiciens ou les ingénieurs en ont besoin, mais la plupart des citoyens seraient mieux formés s’ils apprenaient comment les taux des prêts financiers sont calculés, comment l’on peut programmer les ordinateurs, ou comment comprendre les résultats statistiques des tests médicaux.
Un cursus mathématique qui serait centré sur des problèmes réels pourrait continuer à présenter aux étudiants les outils abstraits des mathématiques, en particulier la manipulation de quantités inconnues (l’algèbre).
Mais il y a un monde entre l’enseignement des “mathématiques pures” hors de tout contexte et l’enseignement de problèmes précis qui vont conduire les étudiants à apprécier comment une formule mathématique modélise et clarifie des situations réelles.
La première méthode est celle avec laquelle sont proposés les cours habituels d’algèbre en introduisant cette variable mystérieuse x, avec laquelle de nombreux étudiants se battent.
Au contraire, une approche contextuelle, qui est celle des scientifiques en action, introduirait des formules en utilisant des abréviations pour des quantités simples, par exemple la fameuse équation de Einstein :
E = mc2, où
E est l’énergie,
m la masse et c la vitesse de la lumière.
Imaginons que l’on remplace la séquence “algèbre, géométrie et calcul (analyse)” par : finance, données numériques et ingénierie de base.
Dans les cours de finance, les étudiants apprendraient ce qu’est la fonction exponentielle, utiliseraient des formules de tableurs, et étudieraient le budget des entreprises et des gouvernements.
Dans le cours de données numériques, les étudiants réuniraient leurs propres données personnelles et apprendraient comment, dans des domaines aussi variés que le sport et la médecine, des échantillons plus nombreux donnent de meilleures estimations de moyennes (le principe des sondages).
Dans le cours d’ingénierie fondamentale, ils s’initieraient au fonctionnement des moteurs, des sondes sonores, des signaux télévisés et des ordinateurs. La science et les mathématiques ont été découvertes ensemble, et aujourd’hui, on les apprend mieux lorsqu’on les apprend ensemble.
Les traditionalistes vont objecter que le cursus standard enseigne le raisonnement abstrait qui a une grande valeur, même si les compétences ainsi acquises ne sont pas, par la suite, directement utilisables dans la vie quotidienne. Pour la génération précédente, les traditionalistes prétendaient que l’étude du latin, bien que sans application pratique, aidait les étudiants à développer de précieuses compétences linguistiques.
Nous croyons que l’étude des mathématiques à travers les applications, tout comme l’étude des langues vivantes, fournit à la fois des connaissances exploitables et des compétences abstraites.
En mathématique, ce dont nous avons besoin, c’est d’une “alphabétisation numérique” :
– la capacité de faire des connexions quantifiées lorsque la vie l’exige ; par exemple, lorsque nous sommes confrontés à des tests médicaux contradictoires et que nous devons décider quel choix médical effectuer ;
– la capacité de construire des modèles mathématiques, la capacité de s’orienter pratiquement entre des problèmes de la vie quotidienne et des formulations mathématiques ; par exemple, lorsque nous devons décider entre louer ou acheter une voiture.
Les parents, les équipes éducatives de chaque Etat américain et les lycées sont aujourd’hui devant un vrai choix. La séquence traditionnelle d’enseignement n’est pas l’unique voie vers la compétence en mathématiques.
Il est vrai que les résultats de nos étudiants, mesurés à l’aune des standards usuels, sont tombés nettement en dessous de ceux des étudiants de nombreux autres pays, mais nous pensons que la meilleure manière de relever le défi est d’oeuvrer pour une alphabétisation numérique pour tous.
Enseigner des sujets qui font sens pour tous les élèves et qu’ils pourront utiliser tout au long de leur vie.
C’est par l’intermédiaire d’applications dans le monde réel que les mathématiques sont apparues dans le passé, qu’elles se sont épanouies à travers les siècles, et qu’elles s’ancrent aujourd’hui à notre culture.
(Traduit de l’anglais par Jean-Michel Kantor, mathématicien et historien des sciences.)
Sol Garfunkel, directeur du Consortium for Mathematics and its Applications et David Mumford, Médaille Fields, professeur émérite, Brown University